En 1947 les trois pistes allemandes sont détruites.
L’État récupère quelques morceaux de terre, qui serviront plus tard par l’impulsion du Sous-préfet de l'époque Alex Gobin, à implanter un aérodrome.
La photo suivante prise en 1963 montre l'emplacement des pistes utilisées par les allemands pendant la seconde Guerre Mondiale. La piste aujourd'hui en service sur le terrain de Montdidier est matérialisée avec les plots sur la gauche.
La route Montdidier-Pierrepont est symbolisée en jaune, Montdidier-Fignières en vert puis le chemin carrossable Fignières-Gratibus de couleur marron.
Les propos recueillis dans une lettre d'Alex Gobin, et adressée au bureau de l'aéroclub en févier 2005, illustrent parfaitement les débuts de l'aéroclub :
- Les circonstances de sa création :
L'idée d'un aéroclub à Montdidier est née de la rencontre au printemps 1946 de deux agents du service public: Robert Vilbert, 38 ans et chef du district de ravitaillement et Alex Gobin, 27 ans venant d'être nommé Sous-Préfet de la ville de Montdidier.
Le premier, sous-officier de carrière dans l'armée de l'air avec une spécialité de mécanicien, a voyagé partout en Europe. Le second a fait ses premiers vols avec l'aviation populaire en 1937 sur le terrain d'Abbeville – Le Plessiel, sous la direction du fondateur du club, Michel Dore, pilote durant la Première Guerre mondiale.
Et bien évidemment, ils parlent aviation…
- La situation en 1946 :
Il n'y a rien !
Aucun terrain puisque l'aérodrome de Montdidier – Fignières, né d'un terrain en herbe avant la guerre, puis de trois pistes en dur réalisées par les Allemands, est impraticable. De plus, les quelques dépôts de munitions restants rassemblés ici et là sont gardés par les Américains.
Pas de club.
A ma connaissance, il n'y eût pas de club à Montdidier avant la guerre. Par contre il y avait en 1939 un club actif à Roye, avec Messieurs Desmaret transporteur, Régnier architecte et Carpentier négociant en grains. Il y avait également Henri Possien, pilote de chasse avec le grade de Capitaine, qui en 1946 avait déjà repris du service comme moniteur de l'aéroclub Gontrand Gonnet à Péronne – Flamicourt.
Ce club de l'avant-guerre avait donc repris son activité. Il était présidé par W. Roguet architecte et animé par Messieurs Hourdoux concessionnaire auto et Declerc vendeur de bières, encore présents sur Montdidier en 2004.
Il disposait en 1946 de deux avions d'école et de perfectionnement, deux Stampe SV-4, puis comme dit plus haut d'un instructeur habitant Roye, Mr Possien. C'est vers lui que Robert Vilbert et moi nous dirigeâmes, très vite rejoints par Louis Wallef, cultivateur de Rubescourt, breveté pilote à l'aéroclub de Roye avant-guerre.
- Les premiers pas :
Nous sommes fin 1946, début 1947. Robert Vilbert, Alex Gobin et Louis Wallef sont les élèves de l'aéroclub Gontrand Gonnet et ont Henri Possien comme moniteur. Le premier et le troisième, brevetés, s'entrainent. Le second est "à l'école", car il n'est pas breveté. Il le sera le 30 septembre 1947.
Tout cela se passe sur l'aérodrome de Roye – Amy, né des Allemands ayant laissés les pistes et les hangars en bon état.
La collaboration Péronne – Montdidier se manifestera encore la 24 août 1947 dans le cadre de la "Fête des fleurs", par des baptêmes organisés sur un bout de piste de l'aérodrome de Fignières. Les avions sont les deux Stampe de Péronne, et les pilotes sont Messieurs Possien, Hourdoux, Declerc et Melle Hocquet, jeune pilote habitant Nurlu.
La recette des baptêmes sera pour l'aéroclub de Péronne, qui est l'organisateur, mais une partie ira dans la toute jeune caisse de l'aéroclub de Montdidier. Tarif des baptêmes de l'époque : 500 Frs (0.76€ !). Il ne varia jamais.
- La création de l'aéroclub de Montdidier :
La réunion constitutive du club avait eu lieu début juillet 1947, à la sous-préfecture de Montdidier (comme toutes les réunions qui suivront jusqu'au printemps 1954).
Le premier Bureau était ainsi constitué :
Président : Robert Vilbert.
Vice-Président : Jacques Dahiez, agriculteur à Becquigny.
Trésorier : Georges Dancre, clerc d'huissier et passionné d'aviation.
Secrétaire : Élie Perrot.
Puis des membres suivants : Louis Wallef, Pierre Dejaiffre d'Assainvillers, Roger Leverbe notre instructeur, puis Alex Gobin.
La déclaration de l'association fût faire conformément à la loi de 1901, le 18 août 1947.
Une nouvelle assemblée générale eût lieu en octobre 1947. Avec le nouveau Bureau ainsi constitué :
Président : Robert Vilbert.
Vice-Présidents : Louis Wallef et Jacques Dahiez.
Trésorier : Georges Dancre.
Secrétaire : Albert Leblanc. Instituteur qui fût un pilote très sérieux, puis ensuite pilote de planeur à l'aéroclub de Méaulte. Il fût Président du club dans les années 1970, "l'âme de l'aviation Montdidérienne pendant plus de trente ans".
Les membres du club, je crains d'en oublier : Pierre Dejaiffe, Pierre Delachapelle de Coullemelle, Jean-Marie Lapouge, instituteur qui voulût bien avec Albert Leblanc prendre en charge les modèles réduits et la préparation au B.E.S.A. (Brevet Elémentaire des Sports Aériens) et futur maire de Montdidier, Joseph Jullien, agriculteur de Faverolles et oncle d'un futur Président du club Gérard Guyon, René Garet, Vannoote Germain puis Edouard Trancart de Cantigny.
Le temps passant, vinrent nous rejoindre comme pilotes André Quien, Marcel Thomas industriel de Contoire – Hamel, Mr Vinot mécanicien auto, André Devaux, les deux fils de Jacques Dahiez, Michel et Jean-Claude, Henri Gossart, Jean-Jacques Carpentier, Claude Mansion et Etienne Crapez d'Etelfay.
Furent des élèves : Mesdemoiselles Pinagot et Ladurantie, ainsi que l'un des fils du Gal Leclerc.
Parmi les élèves brevetés, il n'y en est aucun j'en suis sûr, qui ait oublié "l'examinateur", celui qui était redouté : Monsieur Jourdain, représentant de l'Aéroclub de France, qui pour chaque brevet venait de Saint-Quentin avec son barographe, ce "mouchard" qui disait si vous aviez bien fait votre prise de terrain et vos cinq 8 à altitude constante de 200 mètres. Il était devenu notre ami, redouté certes, mais invité à toutes nos manifestations.
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Je crois que le Bureau ne changea guère jusque mon départ de Montdidier au printemps 1954… Sauf que les uns et les autres me demandèrent le 13 juillet 1948 d'accepter le poste de Directeur sportif, puisqu'à l'époque la règle de ma profession m'interdisait toute appartenance officielle à un groupement.
Voici donc l'aéroclub de Montdidier en place. Sa demande d'affiliation à la Fédération Française Aéronautique (Fédération Nationale Aéronautique de l'époque) est agréée.
Ses premiers élèves volent donc sur le terrain de Roye – Amy jusque fin 1948, jusqu'à ce que la plus longue partie de la piste orientée NE-SO de l'aérodrome de Montdidier soit restaurée grâce à l'ingénieur des Ponts et Chaussées Monsieur Ripaille et son adjoint Monsieur Paris (on ne retrouvera le terrain en herbe actuel que début 1959).
Le club n'est plus sous la "tutelle" de l'aéroclub de Péronne. Il lui faut donc un avion et un hangar, en attendant le prêt demandé d'un Stampe SV-4 par le Service de l'Aviation Légère et Sportive relevant du ministère des transports.
Avec Robert Vilbert comme Président, ce club est entre de bonnes mains.
- Les investissements :
1. Le 23 mars 1948 nous est livré un Piper Cub 65cv provenant de l'armée américaine qui l'utilisait surtout comme avion d'observation. Il est immatriculé F-BCPH. Comme monnaie de paiement nous n'avons en caisse que la part des baptêmes donnés le 24 août 1947. La plupart d'entre nous qui le peuvent mettent la main à la poche.
L'avion est là. Henri Possien est notre instructeur. Vilbert et Gobin sont les premiers utilisateurs, Wallef et Dahiez J. prennent des cours. Et maintenant cet avion, il faut le garer !
Il y a là à Roye – Amy de beaux et grands hangars, apparemment abandonnés. On pourrait démonter le fond de l'un d'eux et le remonter à Montdidier, en bordure de la route menant à Fignières et relié à la piste NE-SO que nous envisageons de faire remettre en état. En attendant, l'avion serait basé à Péronne après utilisation à Roye – Amy.
Décision prise, et tous au boulot ! Notre "conseil", c'est Marcel Thomas, aérostier de la Guerre 14-18, 60 ans, jeune adhérent du club qui fera également plus tard un bon pilote.
Tous ensembles nous démontons armature et toiture. M. Thomas va ensuite élargir les fermes de chaque côté car l'avion fait environ 11 mètres d'envergure. Le hangar se remonte ainsi avec la charpente et les côtés sont bardés avec des drains récupérés sur l'aérodrome, ce que l'on peut voir encore aujourd'hui.
Enfin Louis Sauque, entrepreneur local, se charge de la fabrication et de la mise en place des portes coulissantes en bois.
Ce hangar vit très vite sa profondeur doublée dans les mois suivants afin d'accueillir deux autres avions, d'abord un Stampe immatriculé F-BABY, puis en 1949 d'un monoplace "bébé" Jodel F-PFVL.
Le hangar de "Roye". Actuellement situé proche de la route | Notre Stampe quelques années plus tard en 1952, à Challes-Les-Eaux |
2. Deuxième gros investissement, le 13 août 1949, le club, sur ses propres ressources et celles de ses adhérents, revend le Piper Cub et achète, tout neuf et livré en France au titre du plan "Marshall" un Piper Vagabond de 65cv, parfait pour l'école. Immatriculé F-BFMR, c'est un bel avion, apte pour les baptêmes également, qui fera notre joie à tous pendant quelques années.
3. Le troisième et dernier gros investissement de l'aéroclub des débuts sera l'achat en juin 1951 du bébé Jodel cité plus haut, acheté chez le constructeur à Issoire. Il possédait comme moteur celui d'une auto Volkswagen.
Petite anecdote, cet avion fût amené à la foire agricole de Montdidier le 10 mars 1952 pour être présenté aux visiteurs avenue Paul Doumer. Il fût vendu par la suite en 1954.
Cela coûtait combien de "faire tourner" ce club avec son écurie rappelée ci-dessus ?
Bien sûr il fallait payer l'essence à 100 octanes, l'huile et les assurances. L'entretien mécanique était assuré par Robert Vilbert aidé plus tard par André Quien. Quant à la propreté des appareils les adhérents s'en chargeaient, le dimanche.
Mais de quoi vivait le club ?
- Ses ressources :
1. Les heures de vol étaient facturées 2500 francs. 1000 allaient à l'instructeur Henri Possien. Nous faisions deux à 300 heures par an et en moyenne chaque année, une dizaine de brevets de pilote (je crois que c'est en 1950 que le club se classa au 20ème rang de tous les clubs français, selon le classement opéré par un journal spécialisé).
2. Les coqueluches : Oui, à l'époque la médecine locale accordait de réelles vertus au traitement de cette maladie par un vol d'au moins une heure à une altitude de 4000 mètres, très progressive, dans un avion "découvert", comme le Stampe. Nous en fîmes un certain nombre. Et au prix de 2500 frs l'heure, je l'assure encore aujourd'hui, le succès était quasi certain (nous commençâmes le 23 octobre 1948).
3. Les baptêmes, au prix de 500 frs, constituèrent une garantie financière énorme pour le club. Durant ces quelques années, après la récolte des céréales, nous disposions de grandes éteules, de grands chaumes dans nos plaines et après reconnaissances locales et visite du chef de district aéronautique, nous faisions agréer des terrains d'atterrissage où nous donnions 50, parfois 100 baptêmes dans la journée.
Cela se passait où ?
Au hasard de mon carnet de vol : A Villers Bocage le 14 juillet 1949 avec l'aéroclub de Picardie (Amiens), Rollot le 7 août 1949, Hangest en Santerre le 15 août, Rosières le 21 août, Ailly sur Noye et Montdidier le 2 octobre.
En 1950 à Fécamps. Le 16 juillet de cette même année, une fête aérienne sur notre terrain à lieue et accueille la patrouille militaire d'Étampes [l'ancêtre de la Patrouille de France, NDLR]. Harbonnières le 20 août.
En 1951 Parvillers, le 16 juillet Méharicourt et le 22 à Fécamps. Lors de la Saint Christophe à Grivesnes, Nesle, Berteaucourt-lès-Thennes, Ercheu le 15 août, Wavignies (Oise) le 30 septembre à l'ombre de la sucrerie…
En 1953 j'ai le souvenir d'une après-midi de baptêmes le 26 juillet, où nous inaugurions un baraquement d'origine scolaire, monté à côté de notre hangar et qui nous servit dès lors d'abri et de lieu d'échanges. Et on dansa toute l'après-midi sur le macadam environnant.
4. Les bals : Ils devinrent à Montdidier l'évènement de l'année. On se pressait au "Bal des Ailes".
Les frais d'organisation : l'impression des invitations, l'orchestre (toujours un orchestre parisien : Léardée et son orchestre antillais, la pianiste madame Blanc…), le champagne acheté au lieu de production.
Le bar était tenu par Gaby, la propriétaire du café-restaurant de "la Renaissance", rue Albert 1er. Tous les membres du club étaient mobilisés. Je me souviens par exemple de Jean-Marie Lapouge décorant la salle de parachutes de soie, blancs, issus du dépôt de munitions sur l'aérodrome.
L'un de ces bals a fait l'objet de très belles images dans un film de René Balonchard. Le ou les films ont été retravaillés, mis en ordre il y a plusieurs années par un groupe de Montdidériens rassemblés dans l'Office du Tourisme et le cercle Maurice Blanchard. A ma façon par ce récit, j'ai voulu très simplement ajouter l'histoire des débuts d'une association locale, à la même époque.
- Ma conclusion :
Je la trouve dans un article du "Courrier Picard" datant d'un peu plus tard, qui dit bien l'esprit et l'image du club que Robert Vilbert et moi avions créé en 1947 :
"A une heure où l'on entend beaucoup de lamentations sur la vie et le sort des sociétés locales, il est réconfortant de prendre contact avec le groupe de l'aéroclub.
Jeunes et moins jeunes, débutants et "vieilles tiges" forment une équipe tellement homogène et si soudée par l'amitié et la commune passion de l'aviation qu'autour on ne distingue plus le modeste employé du directeur d'usine, le cultivateur du salarié de l'Etat".
Alex Gobin